divendres, 16 d’octubre del 2015

Pourquoi Florian Vernet nous influence?

 Un manuau pedagogic creat per Florian Vernet en 1982.
 Un manuau pedagogic creat per Florian Vernet en 1982.

Entrevista ambe Glaudi Barsotti, a la fin des annadas 90. L'òme èra cap redactor de Mesclum. Publicava Vernet en fuelhetons.



Pourquoi Florian Vernet nous influence ?
J’ai connu la littérature de Florian Vernet alors que j’étais étudiant en lettres modernes à la fin des années 90. Je n’étais alors ni intéressé par la littérature occitane,  ni par la langue. La maigre représentation que j’en avais en Petite Camargue où je suis né restait poussiéreuse sinon folklorique. C’était un patois, au pire. On l’employait pour dire certaines choses. Pour rire, insulter ou parler entre nous. Sans plus. On parlait un peu. On ne nous transmettait pas.
Moi, j’étais féru de littérature et de cinéma ; je ne pouvais pas penser qu’une écriture en langue minoritaire puisse dépasser le génie d’un Rabelais, d’un Céline ou d’un San Antonio.
 Je ne connaissais rien à l’héritage de notre grande littérature d’oc. Puis il y a eu la rencontre avec les œuvres de Florian Vernet.
J’ai découvert  son sens maîtrisé du récit au milieu des années 90 dans le journal Mesclum, la page occitane qui paraît chaque semaine dans la Marseillaise. C’était un polar humoristique, addictif,  qui s’appelait Popre Ficcion. Je déchiffrais très mal l’occitan mais je restais stupéfait devant ce style cinématographique, concis, ancré dans la réalité urbaine, parsemé d’expressions populaires. Ce qui me poussa à vouloir étudier puis apprendre la langue d’oc.
 Les jeunes lecteurs s’identifient immédiatement au langage de Vernet  qui reflète le langage de la rue. Les étudiants l’admirent et le citent comme premier auteur occitan. L’ancien rédacteur en chef de Mesclum dit que les ouvriers provençaux aiment lire Vernet dans le texte car ils y retrouvent une façon de parler qui leur est propre.
Je veux aujourd’hui simplement retracer le parcours de cet écrivain majeur qui sait renouveler le langage, construire des histoires avec un sens maîtrisé du récit mais sait intéresser une nouvelle génération d’auteurs et de lecteurs occitans. Une influence majeure pour nous.
Le professeur
La lecture d’un roman de Vernet est une révélation au langage. « Una lenga a un besonh de création » (« une langue a un besoin de création »), m’a-t-il dit lors d’un entretien alors que j’écrivais une maîtrise à son sujet avec le chercheur et poète Philippe Gardy. Le récit a une valeur pédagogique : il faut enseigner sa langue par la littérature.
Commençons par le début de son parcours. En 1972,  Vernet donne pour la première fois des cours d’occitan dans les écoles primaires et crée des ateliers d’écriture. Puis, formateur aux métiers de l’enseignement, il améliore ses narrations avec ses élèves ; un peu comme le fera Pennac. Son public est réactif.
Ce sens du public, de l’immédiateté, ne viennent pas de nulle part. Ils s’inspirent des premiers tâtonnements issus de son expérience théâtrale. En 1968, le Biterrois participe à l’aventure du centre dramatique occitan dirigé par André Neyton. Claude Alranq, autre dramaturge de l’époque, insiste pour que les acteurs « déjouent ». L’occitan s’ouvre à tous, évite l’élitisme. Les personnages sont des idéaux. Finis les archétypes pagnolesques, les personnages portent tous les noms symboliques d’un terroir ou d’un combat. Pourtant, dans sa pièce de théâtre intitulée Chola-Babau en 1977, Florian Vernet baptise ses premiers personnages Zé et Margarida, prénoms typiquement provençaux.  Alors… sommes-nous déjà dans la caricature ? En tout cas, le sens du dialogue, l’amour de la langue parlée semble née de cette expérience. Les décors vénitiens resteront longtemps utopiques, inventés et symboliques. Comme le théâtre de ses contemporains.
Sketchs Hachés, seconde œuvre de jeunesse, explore l’univers fantastique et la farce, ancre la vie dans nos idéologies, la colle à un quotidien noir. La farce attire par le rire. Le fantastique donne une impression de modernité décalée. L’écriture joint le ludique au pédagogique. Le fantastique farcesque amène à la réflexion. La farce, comme la satire plus tard dans les polars parodiques raille férocement le rejet de la langue occitane par la société française. Le langage et univers décalé : le monde du romancier est en place.
Le fantastique
Le fantastique devient dès lors le lieu de prédilection de l’auteur. Il évoque le territoire occitan tout en se libérant de celui-ci. Comme Rabelais inventait des territoires aux noms étranges ou symboliques (Pantagruel est né dans le pays d’Utopie, quelque part en Afrique), Vernet dans ses recueils de nouvelles Qualques Nòvas d’Endacòm Mai (quelques nouvelles d’ailleurs) et Miraus Escurs (Sombres miroirs), surnommés « romans comprimits », construit les villes d’Erotopia, Anestesia, Eutanasia, cités d’un pays malade. Ces villes perdues évoluent dans un pays qu’on ne sait plus situer : « Era un pais luenh, luenh, fa d’aquò longtemps (…) Los que demoravan defòra l’avián sonat « Endacòm Mai » ; (« C’était un pays loin, très loin, il y a de cela fort longtemps (…) Ceux qui venaient de l’extérieur l’avaient appelé : « D’ailleurs »)
Qualques nòvas d’endacòm mai et Miraus Escurs forment un diptyque. Quel est le regard que le terrien porte sur l’extraterrestre ? Le regard du Français sus l’Occitan ? L’Occitan malade perd la parole, la vue, le toucher. Il recherche désespérément son image perdue dans le miroir qui s’obscurcit et marque la fin d’une identité. D’où le titre. « Eterotopia », pays de l’éclectisme et du mélange nous façonne anonymement en chaîne. Les hommes n’ont plus de liens familiaux. Qu’est-ce qui  nous pousse à vivre encore? Des dieux ? Le capitalisme ? On ne sait pas. Mais cette instance mystérieuse nous « suce le sang » : « Conoisses lo nom mascat de los qu’an volgut nos faire a sa semblança, per melhor nos escrancar e nos chucar lo sang ? » (« Connais-tu le nom caché de ceux qui ont voulu nous faire à leur image, pour mieux nous écraser et nous sucer le sang ? ») La préface de Qualques Nòvas d’Endacòm Mai nous rappelle que nous n’existons pas : « Existissèm pas ».
L’auteur de polar
Si la langue est ludique, le jeu mérite des règles. C’est pourquoi Vernet choisit le roman policier. Genre précis, réaliste qui impose ses lois d’écriture et de genre : le crime, le mystère, la violence, le sexe, le langage trivial, l’humour. La forme courte est privilégiée (inspirée par le pulp américain d’où le titre savoureux : Popre Ficcion) pour encourager les nouveaux lecteurs. Le polar devient l’enjeu principal de son écriture. Le premier roman policier E Freud dins Aquò ? vise un nouveau public populaire. Mesclum, dirigé par le journaliste Claude Barsotti, le découpe en feuilletons dès 1990. Trois romans policiers – sur le même modèle – suivront : My Name is Degun, Suça Sang Conneccion, et Popre Ficcion. Le policier occitan dans les années 90 se rallie symboliquement au grand mouvement du polar marseillais représenté par Jean Claude Izzo. Les personnages de Vernet, eux, au fil des récits évoluent à Marseille, Toulon ou Nice. Son néo-polar a pour but de dénoncer les inégalités sociales, de défendre les minorités (My Name is Degun se passe dans une ville de province dirigée par l’extrême droite, son personnage principal s’appelle Akim) mais surtout de défendre une identité méditerranéenne dans une Provence non folklorique mais vivante. Il s’agit en général d’affirmer une identification métissée. L’énigme du polar n’est plus qu’un prétexte. Le tout, comme dirait Michel le Bris, est de « dire le monde ».
 Vernet parodie. Il exagère ses références policières et cinématographiques. L’exploration de ce genre permet l’ouverture de la culture occitane sur des fondements nouveaux, une littérature ouverte à l’échange intertextuel et au monde contemporain.  Vernet (comme San Antonio) détourne les citations, les poncifs, les systèmes du genre noir ou d’une école d’écriture (l’école du Masque dans My Name is Degun). L’intertextualité est  omniprésente. Ses personnages principaux portent le chapeau comme Bogart.
Le jeu avec le langage reste le plus intéressant. Le genre noir français permet l’utilisation abondante de l’argot. Alors, Vernet l’Occitan répertorie dans sa prose des expressions provençales : « marcamau se passeja ! », « fant de puta », « fora-bora », « garçar lo camp », « mon grand lo bornhe », « tot marcha dins l’òli », « putan de gòi », « patin-coffin », « despuei l’an pebre », « tifa-tafa ». Ces expressions reviennent d’un épisode à l’autre, d’un polar à l’autre comme des leitmotivs.
Le romancier est aussi linguiste à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Dans sa prose il retranscrit sous forme ludique ses observations scientifiques de l’occitan oral. D’ailleurs l’auteur l’avoue : « le roman policier permet une littérature sans cravate. » Comme dans les chansons de Massilia Sound System, Vernet joue avec l’anglais.  Le titre My Name is Degun nous rappelle l’emprise despotique sur le langage mondialisé.
Le sens de la satire est omniprésent. A l’époque où les Guignols de l’Info influencent les jeunes français, on apprécie les caricatures : un français moyen promène son chien. Il déblatère des idées de droite en promenant un chien appelé Jupet. Comme dans les romans noirs, la connotation sociale (une femme qui passe sa vie entre sa télévision et sa fenêtre), se double d’une connotation  psychanalytique (les allusions à Freud) et bibliques (à la fin du premier polar, les hommes marchent sur l’eau).
Les temps évoluent. Il y a très longtemps qu’on n’a pas eu un roman policier ou un récit fantastique dans le journal Mesclum. Tout se métamorphose. L’humour est plu rare, plus en pointillé mais bien incisif. Récemment Florian Vernet a sorti chez IEO un magnifique recueil plus personnel : Fin de Partida. Fin de partie. Comme un écho au livre de Becket. Les nouvelles sont denses, parfaitement développées. La première nouvelle qui raconte la dernière randonnée d’un homme en fin de vie s’ancre dans une réalité cruelle que l’on ne trouve rarement dans les littératures du monde. La tonalité en est plus grave.
Influences.
Florian Vernet a influencé les occitanistes d’aujourd’hui. Souvent par un parcours artistique parallèle. Magali Bizot Dargent, auteur contemporain, qui a signé très recemment Cronicas pacolinas, Esquissas per un retrach de l'ombra, et Questions essencialas e autreis escrichs minusculs, comédienne, l’a rencontré au CDO (centre dramatique occitan) mais n’a jamais tourné dans ses spectacles. Elle se souvient très bien des petits spectacles populaires que faisait tourner Vernet sur Toulon. Ce sont surtout les feuilletons dans Mesclum qui l’ont marquée car ils présentaient une littérature décomplexée, loin des écrits de terroir. Et en cela Vernet a débloqué les champs de l’imaginaire pour des auteurs qui étaient fascinés mais parfois écrasés par la grandeur de Frédéric Mistral et d’autres illustres félibres. Florian Vernet ouvrait le chemin de la liberté littéraire. Magali comme Florian a été longtemps influencée par San Antonio. Moins par la littérature occitane. Pour elle, Vernet c’est d’abord une écriture militante. « Qui ne s’emmerde pas, dit-elle. »
Dans mon dernier recueil Esperit de Sau, j’ai voulu écouter les conseils de Vernet nouvelliste. Il m’a toujours conseillé d’aller au bout de mes histoires qu’il trouvait parfois inabouties lors de nos trop rares échanges. J’ai essayé d’emprunter chez lui ce mélange de fantastique et de souffrance, de réalisme et d’imaginaire pour décrire la noirceur du quotidien.
J’ai toujours aimé l’utilisation de la langue verte par Zola dans l’Assommoir. Vernet est de cette école-là. C’est un auteur que je mets à côté de Céline, pas loin de San Antonio. Bien en vue de ma bibliothèque. Au milieu des grands classiques et des auteurs amoureux de l’humour noir et du langage.